En direction d’Hautefort, sur la Départementale 5 à Le Change à hauteur du camping en face de La Chapelle d’Auberoche datant du XIIe siècle (classée au titre des monuments historiques depuis 1960), rien ne me prédisposait à tourner à droite, si ce n'est une vigie aperçue sur un imposant bâtiment, rendue visible par le dépouillement des arbres.
Sur les terres, un chai en ruine atteste la présence de vignes. Donc on y faisait du vin et le nom d’un monsieur Moulinier semble associé. La fin du XIXe siècle a été marquée par la crise du phylloxera, parasite apporté des Etats-Unis qui a détruit en quelques années, une grande partie du vignoble français.
Construit en 1864, le château du Roc ou du Roc-Chautru m’est apparu endormi au milieu d’un vaste parc. Une grande bâtisse carrée, entourée d’une terrasse à laquelle on peut accéder par un escalier à double révolution. Le château s‘élève sur trois niveaux largement ouverts par de grandes fenêtres rectangulaires toutes occultées par des volets. Les fenêtres du dernier étage, sont plus réduites et l’ensemble est coiffé d’un toit mansardé en ardoise, surmonté d’un clocheton (que j’ai imaginé « «vigie ») qui m’a attiré.
Je n’ai pas trouvé trace de l’histoire des propriétaires avant 1941 où le château accueille la Croix-Rouge Polonaise avant de recevoir en ses murs le Groupement d’assistance des Polonais Français. En 1942 il sera évacué pour y interner les juifs victimes des rafles du gouvernement de Vichy. Bousquet s'étant engagé à transférer aux Allemands 10 000 juifs «apatrides» résidant en zone non occupée, c’est le 26 Août 1942 que la police française procède à une première rafle en Dordogne, Deux centres sont aménagés dans la plus grande hâte en Dordogne à Saint-Pardoux-la-Rivière et au château du Roc, au Change. Pour rendre visible cette tragédie, une stèle commémorative porte « le 26 août 1942. 172 juifs dont 52 enfants et adolescents habitant la Dordogne furent arrêtés et internés au château du Roc à Le Change et à Saint-Pardoux-La-Rivière. Ils furent livrés aux nazis par le gouvernement de Vichy et déportés à Auschwitz – N’oublions jamais »...
À la Libération, il sert paradoxalement de lieu d’accueil pour les juifs avant leur installation en Palestine. Il faut que la vie reprenne et après la seconde guerre mondiale, c’est grâce à l’initiative de la Commission Centrale de l’Enfance (CCE), qui prenait en charge les enfants des déportés, fusillés, ou disparus, que le château fut lieu de vacances. A ces orphelins, il s’agissait de redonner « le goût du bonheur » et de les souder dans l’idéal d’un avenir socialiste.
David Lescot, dramaturge, musicien et metteur en scène, né en 1971 est allé au Château du Roc de 1980 à 1985, fortement marqué par l’histoire de sa famille, il laisse une délicieuse évocation des colonies de vacances, créées par les militants juifs communistes qu’il a appelé « la Commission Centrale de l’Enfance »‘ Avant lui, son père Jean, comédien, était allé à Tarnos, dans les Landes. Des familles entières se sont ainsi passées le relais et, aujourd’hui, la liste est longue de tous les anciens de la CCE, dont David Lescot dit qu’ils sont liés par un pacte, «à la vie à la mort ».
Le château Le Roc sera racheté dans les années 90 par Paul Chautru d’ou le nom de Château du Roc-Chautru donné également au château du Roc.. Il y fit des travaux importants d’aménagement intérieurs, pour le transformer en un hôtel de standing.
Ce château est à vendre depuis des décennies et figure aujourd’hui sur les châteaux de prestige proposés par les agences spécialistes de ces biens.
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